mercredi, juillet 26, 2006

L’école d’architecture : entre la théorie et la pratique

PAR MARIO ROSALDO


Malgré les principes souscrits dans les programmes d’études qui préconisent une formation générale et professionnelle guidée par l’esprit critique, l’école d’architecture reflète aujourd’hui une claire tendance au pragmatisme, c’est-à-dire à l’acceptation réaliste selon laquelle nous sommes toujours dépassés par les circonstances ; que nous ne les pourrons jamais changer. C’est une tendance à accepter fatalement que les conditions de vie dans le capitalisme sont inaltérables ; que la vie matérielle pousse les individus même à agir contre leur volonté : à avoir comme l'objectif vital, pas une vie saine, mais un emploi, un travail économiquement productif et à devenir impitoyablement pragmatistes ou compétitifs. Cette opinion est renforcée aussi par la prédominance de l'économie et la technologie sur la science. En effet, le rôle de la science moderne est encore principalement économique ; la santé et l’éducation sont vues seulement comme une fraction du problème financière ou stratégique, elles ne sont pas les objectifs finals du capital.

Tout cela nous a amenés à surestimer l’importance des résultats immédiats, concrets, dans l’école comme dans la critique contemporaine d’architecture. Cette critique, notamment la critique postmoderniste et déconstructiviste a adopté le pragmatisme dominant en développant une sorte de symbiose avec les mécènes et les patrons capitalistes. Son discours est supposé être un défi aux autorités, mais il ne menace jamais les intérêts de l'État capitaliste ; il se contente d’attaquer les autorités représentatives du passé. Les critiques postmodernes et déconstructivistes adressées à la société sont des actes purement symboliques, des métaphores adressées aux étoiles. Dans les faits, l’école d’architecture nous montre que l’esprit critique est très souvent remplacé par une approche pragmatique facilitant en théorie la prise de décisions et l’attente des buts aux termes les plus courts possibles, une telle approche est partagée spécialement par ceux qui méprisent le discours et l’intellectualisation des décisions.

Dans le pragmatisme il y a une vieille discussion entre ceux qui choisissent le chemin de la théorie subordonnée à la pratique et ceux qui préfèrent une pratique sans théorie. En effet, il s’agit d’une confrontation qui précède historiquement la postmodernité et la déconstruction, mais celles-ci n’ont pas pu jusqu’à maintenant éviter d’adopter les mêmes postures utilitaristes, positivistes et pragmatistes supposément déjà surmontées par la réalité nouvelle de la fin de siècle. La voie à travers laquelle la critique contemporaine d’architecture a hérité la contradiction méthodique en question a été évidemment le mouvement moderne. Il ne faut pas dire que les architectes modernes n’ont pas posé le problème pour la première fois, ils seulement ont repris une discussion qui était déjà en marche. Tant les efforts didactiques de Walter Gropius pour établir un équilibre entre la théorie et la pratique, sans renoncer à changer les conditions de vie capitalistes moyennant une révolution de l’esprit, que l’utopisme de Le Corbusier qui s’efforçait d’unir en un tout la sensibilité de l’art et la dure vie des travailleurs, nous démontrent par opposition que les mouvements postmoderniste et déconstructiviste non seulement se sont désintéressés du problème social, mais en plus ils ont pris parti pour une pratique pragmatique, dépourvue de toute référence théorique et morale.

L’importance exagérée du pragmatisme dans la critique récente a fait croire aux étudiants d’architecture que dans l’école il n’y a jamais eu de discussion sur l’équilibre idéal entre la théorie et la pratique, ou entre la conscience et la base économique. Et, ce qui est pis encore, la critique pragmatique dominante leur a fait croire que tout cela est déjà, et pour toujours, discrédité. En conséquence, dans l’école et dans la critique d’architecture la recherche de l’équilibre a été reléguée au second plan, réduite à ce que les pragmatistes ont considéré comme une spéculation oiseuse, une philosophie économiquement improductive.