jeudi, novembre 28, 2019

De l'ambiguïté en architecture par Robert Venturi*

PAR MARIO ROSALDO




FRAGMENT DE NOTRE ÉTUDE RÉALISÉE DU 16 AU 22 DÉCEMBRE 2006


APERÇU DU LIVRE

Après la première rapide lecture du livre Complejidad y contradicción en la arquitectura (De l'ambiguïté en architecture, en francais) par Robert Venturi[1], nous avons l’impression qu'il est un cours pressé d’architecture, d’art et, en substance, sur le classicisme. C’est un projet critique et théorique qui se lève comme une réaction contre l’architecture moderne des architectes rationalistes qui font del'ordre pur une idéalisation placée au-dessus de toute réalité. L'argument principal de Venturi c'est que cettes réflexions résultent de sa pratique architectonique. Il est évident que sa préoccupation, c'est nous faire voir qu'il n'écrit pas seulement conduit par ses études d'histoire et de critique d'art. La raison n’est pas seulement de justifier son travail, non seulement de le diffuser comme propagande — ce qui a été, en effet, l’un des buts remplis du livre —, mais surtout d’établir un nouveau champ de référence visuel, une base empirique enracinée dans la réalité, dans «le paysage quotidien, vulgaire et rabaissé, [dans] l’ordre complexe et contradictoire», valide et vital[2].

La critique est dirigée d'abord contre l'école moderne, le Bauhaus, puis contre Wright, Aalto ou Le Corbusier. L'intention est de sauver ce dernier par son classicisme manifeste.

En ce qui concerne la tendance classiciste de Venturi lui-même, les traits les plus marqués se présentent comme la confirmation de notre idée initiale: son rapport avec la critique littéraire classiciste (Wordsworth, Eliot, au minimum) et son lien avec l'Italie en raison de ses ancêtres italiens, de ses études à Rome, de son goût pour le paysage urbain de la ville italienne et de sa défense de la tradition gréco-romaine contre l'opus modernum.

Sa méthode est visuelle. Le texte est trop bref si l'on parle d'une ouvrage théorique. L'abondance d'images, la comparaison visuelle, l'illustration des concepts, leur définition, etc., aide pour que la lecture et l'assimilation du sujet exposé soient rapides et efficaces. En ce qui concerne son format de critique et de théorie: c’est une liste de concepts qui sont examinés et établis à partir d’un langage historico-critique ou classiciste, dont l'explication est basée sur les images sélectionnées d’œuvres architectoniques, de véritables œuvres d'architecture traditionnelle. La procédure analogique rend evidents les aspects classicistes de l'architecture moderne, révélant ainsi les liens avec la tradition déniée. Dans le cas des architectes du Bauhaus, en raison de son incapacité à reproduire le classicisme, ils sont simplement jetés de l'exposition et condamnés à l'oubli, à une omission perverse et doctrinale.


LE CHAPITRE «UN MANIFESTE DOUX EN FAVEUR D'UNE ARCHITECTURE ÉQUIVOQUE»[3]

Venturi commence par une approche émancipatrice, ceci afin de rejeter sans aucun égards à ce qu'il conçoit comme le puritanisme intimidant de l'architecture moderne, afin de soutenir comme thèse que l'unique chemin est l'esthétisme. Mais, au fond, la proposition n’est rien de plus que l’opposition d’une pensée à une autre, d’une conviction à une autre, d’une morale à une autre. Tout est résolu au niveau de la conscience et à partir de là, il dérive des actions concrètes de l'architecte qui —en théorie— libre d'idées modernes, peut prendre le contrôle de tout son être et de toutes ses créations.

Dans la vision esthétique de Venturi, il y a implicitement une morale, qui s'oppose au langage «puritain» de l'architecture moderne. Pour tous ceux qui connaissent l'histoire, il sera facile de reconnaître dans cet adjectif une référence aux luttes de la Réforme et de la Contre-Réforme. En substance, donc, tout se réduit à opposer la tradition qui regarde Rome[4] à la tradition qui regarde le passé germanique. Nous reconnaissons chez Venturi un rejet de la morale protestante, de la morale de la rupture.

Il est également vrai que Venturi nous renvoie à la vision kantienne de l’art en tant qu'un phénomène autonome. Mais ceci est juste un raisonnement qui peut être réfuté par un autre. Dans les faits, tout comme il n’existe pas une telle esthétique autonome, il n'existe pas non plus une politique sans morale restrictive. Le goût est une expression de la volonté, parce que c'est une préférence ou un choix. Discerner, c'est critiquer, c'est l'expression volontaire d’une préférence ou d’une approche particulière. La volonté est soumise à l'objet désiré, soit valeur, soit réalité. La valeur est basée sur le matériel ou sur le spirituel. Le matériel et le spirituel forment une unité complexe et contradictoire, si l'on veut le dire ainsi, mais, en fin de compte, ils sont une unité. La valeur morale et la valeur esthétique ne sont pas indépendantes de cette unité, la subjectivité implicite du goût, de l'esthétique, ne provient pas seulement de l'individu présent, mais aussi de l'individu historique, de ce soit-disant être-social. L’esthétique s’apprend par la pratique ou en suivant des cours à Princeton ou à Rome. Le goût est le résultat d'une éducation. Ce que nous apprenons dans les écoles d'art, ce sont des valeurs morales et esthétiques.

En tout cas, Venturi nous met face à une approche faussement empirique: l'acceptation de la réalité, qui se révèle plutôt comme une réalité purement esthétique, déterminée par le goût, les préférences, l'éducation. Il suffit à Venturi que la tradition littéraire critique accepte l'autonomie esthétique, l'autonomie du goût, pour la considérer comme un «fait». Il ne dit rien de la tradition qui la rejette, ce qui est aussi un «fait». C'est ironique et risible que Venturi mette l'accent sur son expérience pratique ou invoque la réalité quotidienne, lorsqu'il assume le subjectivisme esthétique comme le point d'appui de son argumentation. Mais la faiblesse de son argument ce n'est pas ce fondement équivoque, mais tout ce que son attitude implique.

Venturi dénonce la rupture historique et esthétique, en assumant consciemment l'argument contraire à cette rupture, à savoir la vision esthéticienne. Son livre entier c'est une source d'où naissent des idées classiques esthétisantes. Au final, il ne s'agit que de la restitution de la vision esthéticienne, de l'historicisme, du classicisme, centrée sur l'Italie, mais avec une pincée de modernité. On regarde encore Rome, avec un pied à Philadelphie, sur l'autoroute, dans la culture populaire américaine.

(...)



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NOTES:


[1] Robert Venturi; op. cit. ; Gustavo Gili, Barcelone, 2003 ; Deuxième édition. Malheureusement nous n'avons pas encore lu la version française.

[2] Ibid. ; p. 168.

[3] Ibid. ; pp. 25-26. D'après certaines références numériques, dans la version en français, ils ont traduit : «Petit manifeste en faveur d'une architecture equivoque».

[4] De l'avis d'Octavio Paz, Ezra Pound et T. S. Eliot reviennent leurs yeux vers Rome, dans la tentative de restaurer la tradition du classicisme, mais, contre leur gré, ils finissent par proposer une révolution poétique (voir l'interview « Quatre ou cinq points cardinaux » par Roberto González Echevarría et Emir Rodríguez Monegal reproduit dans le livre Pasión critica [Passion critique] ; Seix Barral, Colección Biblioteca Breve; Barcelona, 1985; pp. 21-36). Venturi donne des références, des citations et des notes d'Eliot. Nous pouvons dire que c'est à travers Eliot qu'il perçoit «une façon de voir l'architecture».




* L'écriture originale de ce texte a été faite le 16 décembre 2006, dans notre Cahier 2006(5). Publié en espagnol le 24 mars 2014 dans le site Ideas Arquitecturadas.

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