vendredi, février 22, 2008

Pour rompre l'inertie et renouveler l'attitude critique dans l'architecture

PAR MARIO ROSALDO


Si nous nous mettons à étudier sérieusement les théories et les critiques de l'architecture des années récentes, disons, dès années 1980 jusqu'au présent, nous verrons que la sophistication expérimentée dans leurs méthodes, théories et terminologies, peut être attribuée surtout à l'intérêt de s'établir en tant que des paradigmes scientifiques et multidisciplinaires, ou, par contre, simplement en tant que des théories et critiques fondées sur les variantes de ce qu'on appelle l'irrationalisme ou l'antirationalisme. Parmi tous ces extrêmes, nous trouvons en général les attitudes conciliatrices : les solutions qui, en se refusant à prendre parti pour les radicaux ou les réactionnaires, préfèrent le confort de la neutralité, ou même de l'éclectisme. Nous pouvons reconnaître que, au moral, une attitude critique conciliatrice c'est bénéfique et souhaitable, ou que l'idée d'une critique pluraliste, une critique ouverte au dialogue, qui ne choisit pas de positions extrêmes et absolues, c'est très heureuse. Mais, dans les faits, ce qu'on appelle le pluralisme ne comprend pas toujours l'ensemble des critiques; il tend à exclure les monistes et tous ceux qui n'acceptent pas la démocratie libérale. Et quand le pluralisme parle du respect aux rationalistes ou aux idéalistes, selon soit la position défendue, il considère communément que ceux-là sont erronés. L'inclusion pluraliste devient la douane où les sympathisants du libéralisme économique reçoivent un traitement préférentiel. Une conciliation fondée sur une prétendue égalité et compréhension de toutes les opinions, c'est l'imposition à peine dissimulée du vieux relativisme culturel de l'anthropologie académique.

Le dialogue parmi les critiques, comme le dialogue en général, c'est une réflexion sur nos connaissances, mais aussi sur les connaissances de nos interlocuteurs. C'est la réflexion suscitée par la rencontre, ce qui enrichie le critique, ce qui lui donne des enseignements inespérés. Mais l'improvisation n'a pas un lieu dans la méthode, à moins que cette pratique là soit déclarée et ne se la fasse pas passer pour celle-ci. Les théories et les critiques mentionnées étant préoccupées par s'établir comme les paradigmes nouveaux, ont oublié l'étude à fond des sources sur lesquelles elles affirment être basées; elles se sont limitées à recourir aux opinions tierces. Cela a été ainsi parce que, d’un côté, elles ont supposé que leurs appuis théoriques sont les plus avancés et, de l'autre, elles ont été les victimes des pressions et du pragmatisme de notre temps. Elles rayent les théories et critiques d'un trait de plume, en adoptant tout simplement la dernière théorie en vogue. Ils sont rares les critiques qui s'adonnent à l'étude sérieuse de l'auteur discuté, qui considèrent non seulement ce que des autres critiques on dit ou écrit sur cet auteur, mais surtout ce que lui-même a exposé. C'est pour cela qu'ici nous voulons inviter les théoriciens et les critiques officiels de l'architecture à laisser parler par eux-mêmes aux auteurs qu'ils louent ou ridiculisent. Juger les auteurs à travers les interprétations de tierces personnes de leurs pensées et leurs écrits —soient-elles favorables ou défavorables— non seulement c'est injuste moralement, mais aussi absurde logiquement.

Comme nous ne pouvons pas attendre jusqu'à que cela arrive, ce serait approprié d'inviter aussi le lecteur de théories et critiques à faire lui-même ses études ou recherches et à ne pas dépendre exclusivement sur les opinions tierces, même s'il s'agit des spécialistes renommés de certain auteur. Ce n'est pas question de laisser de côté les théories et les critiques existantes, mais de les confronter et soumettre à une étude qui souligne leurs réussites et leurs échecs, leurs avantages et leurs limitations. Recourir à l'excuse facile selon laquelle les théories et critiques vieilles, ou qui traitent sur des sujets vieux, sont déjà dépassées —et par conséquent leur étude n'est plus nécessaire— c'est un paradoxe montrant au moins que nous pensons conforme à l'époque, que nous n'avons pas d'idées propres, que nous ne sommes pas originaux, que nous sommes portés par le courant dominant et par l'inertie des habitudes. L'étude critique des sources classiques, ou des auteurs qui sont les points de repères essentiels de la critique d'architecture et, en général, de toute critique, c'est utile d'abord pour vérifier qu'est-ce que ces auteurs ont vraiment dit sur un sujet déterminé, et ensuite pour esquisser notre propre point de vue à ce sujet, soit qu'il se réfère aux interprétations de tierces personnes, soit qu'il se réfère à la pensée même de telles sources ou points de repères traditionnels. La seule méthode sûre pour devenir un critique attentif et créatif, c'est une pratique persévérante de l'étude : en recherchant, explorant, comparant, mais surtout ne se limitant pas à répéter ce que les autres disent, n'adoptant pas ni défendant les théories sans avant les questionner à fond.

Nous avons dit dans l'article précédent qu'une critique est seulement un essai, une approximation provisoire; mais nous ne pouvons pas dire qu'il n'importe pas de savoir qui est l'auteur, car la véracité de la critique, ou le manque de cette véracité est déterminé par la tendance théorique et politique de celui. De toute façon, malgré que ce soit vrai que les critiques se distinguent selon la qualité, la rigueur ou le sérieux avec lesquelles elles sont réalisées, ceci n'est pas en rapport direct avec la renommée de l'auteur que d'une manière exceptionnelle, soit dans notre cas un architecte, un historien ou un philosophe. La plupart du temps les critiques deviennent des modes parce qu'elles abordent des thèmes, ou elles utilisent une terminologie, qui surprend agréablement le public avide de nouveautés et d'irrévérences contre la rigidité de l'académie et, en général, de toutes les institutions de l'État et la société. Mais, après que l'étape ludique —et au même temps révérencielle— des critiques favorites d'une époque soit passée, le public découvre que celles-ci avaient été, parfois du commencement même, l'objet d'étude de la critique adverse. Ainsi donc, nonobstant les bonnes intentions, ou pour le manque d'elles, beaucoup de critiques —et aussi beaucoup de théories— deviennent de vrais rideaux de fumée qui découragent et désorientent les lecteurs en les éloignant de l'étude des sources classiques, des points de repères essentiels, car elles font paraître l'étude une question d'initiés et prédestinés. De manière volontaire ou involontaire, elles deviennent un obstacle à sauter, au lieu d'être un aimant attirant de l'intérêt général.

Cela signifie que l'architecte ou l'étudiant d'architecture qui veut rompre l'inertie ou qui a besoin de renouveler son attitude critique, devra commencer à confronter les théories et les critiques, qu'il a appris, avec les sources sur lesquelles les auteurs se basent ; il devra lire et étudier consciencieusement les textes originaux de telles sources afin d'être en position de déterminer si l'interprétation les rend justice ou les déforme, si elle apporte quelque chose de particulière ou pas. Également, il devra identifier les affiliations théoriques et politiques des auteurs, afin de savoir qu'est-ce qu'il a de commun ou de différent avec eux. Il peut prendre parti pour une ou autre tendance, ou essayer de rester dans la neutralité. Justement il fait partie du débat, l'opinion soutenant que l'objectivité est possible seulement si l'on ne prend pas parti, si le critique reste neutre et étranger ; et l'opinion soutenant qu'il n'y a pas d'objectivité si l'on ne reconnaît pas le rôle que la subjectivité joue dans le processus de la connaissance, si l'on n'accepte pas que le critique est habituellement engagé dans l'objet de son étude. Un argument contre ces opinions est celui qui soutient que seulement la subjectivité peut nous faire pressentir la nature humaine et ses créations. La seule manière de comprendre chaque position critique est se mettre à sa place, et cela signifie prendre parti, même si c'est seulement de façon temporaire. Évidemment, dans la pratique on peut choisir un parti, ou aussi une position indépendante ou neutre, sans avoir connu vraiment le contraire, mais dans la critique, et dans la théorie, la connaissance est la base de la réflexion. C'est nécessaire d'étudier sérieusement chaque position dans le débat critique.

On peut étudier les sources ou les repères classiques séparément, conforme à nos nécessités, mais, pour éviter la déformation de leurs thèses centrales, il est préférable d'étudier les sources d'abord en fonction d'elles-mêmes, c'est-à-dire, c'est mieux suivre leur propre discours jusqu’à établir quelles sont les thèses soutenues ou quelle est la théorie qu'ils essaient de développer: clarifier ce qu'ils veulent dire. Une fois qu'on a accompli ce travail, c'est le moment de réfléchir sur le matériel qui a été produit par notre étude, en le confrontant toujours avec le discours étudié. Nous pouvons considérer tout cela uniquement comme une première rencontre avec un auteur déterminé et travailler pour le moment avec les premières conclusions obtenues, en sachant qu'elles pourront être modifiées après une deuxième ou une troisième étude. Si ces conclusions sont exposées en public, nous pouvons l'avertir qu'elles sont provisoires ou qu'elles feront l'objet d'une révision future. C'est caractéristique de notre époque considérer d'avance que les théories et les critiques architecturales, qui nous lisons, sont déjà des résultats finals et, donc, des points de départs inamovibles. Quelques auteurs, même en considérant leurs conclusions toutes provisoires, les défendent comme si elles étaient irremplaçables et irréfutables, comme si elles étaient les dernières et définitives. C'est évident qu'une campagne pour populariser nos conclusions ne les fera pas plus objectives, ni plus scientifiques, mais cette campagne peut amener la critique dans une impasse, car celle-là fait croire au public qu'en dehors de cette théorie il n'y a pas d'autre. Evitons d'agir ainsi.